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*** Temps de lecture : 6 minutes ***

 

C’est lors de notre arrivée en Andalousie, en novembre 2021, que je rencontre Manon, fondatrice de la friperie ContraBanda, à Grenade, en Espagne.

 

Étant moi-même adepte de vêtements de seconde main depuis longtemps, c’est le genre d’endroit que je recherche activement, partout là où je vais. Nous avions vite pris nos bonnes habitudes dans cette ville pour laquelle nous avons eu un vrai coup de cœur, et aller faire un tour chez ContraBanda en faisait partie, après avoir pris notre petit café au torréfacteur La Finca, dans le centre. On découvrait avec plaisir les nouveautés de la boutique, en plus d’avoir des discussions toujours super intéressantes avec Manon, véritable écopreneuse !

 

Entrevue.

 

1) Qui es-tu, d’où es-tu originaire et quel est ton parcours ?

Je m’appelle Manon, j’ai 28 ans et je suis née à Bruxelles en Belgique. J’ai fait mes études en sociologie et anthropologie. À la base, je me dirigeais vers l’ethno-musicologie, qui m’intéressait particulièrement. J’ai eu la chance de voyager durant mes études, et j’ai découvert Grenade pour la première fois en y faisant un Erasmus.

Et puis à un certain moment, j’ai réalisé que je ne voulais pas forcément continuer dans les études : j’avais envie d’avoir un impact concret et visible sur le monde. J’avais le cerveau fatigué et trop de colère en moi pour continuer dans la recherche à l’université.

 

2) Quand et pourquoi as-tu décidé de fonder ContraBanda ?

J’ai eu une révélation, celle qui m’a poussé à fonder ma propre friperie : en effet, j’ai toujours adoré le monde des vêtements de seconde main, je trouvais que c’était un très bon moyen d’exprimer mon style et mes envies sans forcément casser la tirelire.

Il faut savoir aussi que j’ai passé mon enfance dans les brocantes à Bruxelles, donc cela m’a beaucoup forgé. Je retrouvais dans ces lieux beaucoup de partage et de lâcher-prise sur la question du matérialisme.  En plus, ça donne de la vie au quartiers et crée des espaces d’échange entre les gens. J’étais également activement impliquée dans un centre social où on recevait des donations de vêtements qu’on revendait à prix libre. J’ai adoré l’ambiance et les différents publics que cet endroit pouvait réunir. Et surtout, ça m’a amené à constater la quantité effarante de vêtements à peine utilisée et ‘’entreposée’’ chez les gens.

Donc c’est là d’où est venue l’idée de ContraBanda, comme une réponse à cette problématique : créer des espaces pour permettre de remettre sur le marché ces vêtements non-utilisés et contribuer à l’économie circulaire.

 

3) Parle-nous un peu de la mission et la vision de ContraBanda !

Ça doit faire une dizaine d’années que j’ai une conscience et une sensibilité écologique et sociale qui sont omniprésentes dans ma vie et qui déterminent mes choix quotidiens, que ce soit pour voyager et pour me déplacer (à vélo notamment), mais aussi tout ce touche à l’alimentation, etc… ça donne du sens à ma vie, en plus de représenter une lutte, celle d’aller à contre-courant du monde actuel néo-libéral.

La mission de ContraBanda, c’est de court-circuiter l’industrie de la mode actuelle, de la production textile de masse, en offrant aux gens qui commencent à se poser des questions sur ce système de production-destruction une alternative concrète, bon marché et agréable, dans un lieu sympathique.

Donc tous les enjeux sur lesquels je me positionne avec ContraBanda, c’est la destruction de l’environnement, la contamination de l’eau, de l’air et des sols, la dépendance au pétrole et aux produits chimiques, mais aussi l’injustice fiscale, l’accroissement des inégalités et l’accaparement des richesses par une minorité, propre au système capitaliste.

L’aspect éthique et humain est très important aussi. Quand on sait dans quelles conditions sont fabriqués nos vêtements, c’est un véritable esclavage moderne… Cela m’attriste et me révolte que la plupart des consommateurs préfèrent fermer les yeux sur ces dynamiques sous prétexte qu’elles ont lieu sous d’autres latitudes ou simplement parce qu’elles sont douloureuses à accepter.

Bref, ce sont de nobles idéaux, mais parfois très difficiles à mettre en place dans un système oppressant comme celui dans lequel on baigne actuellement. Un système dans lequel tout pousse à la consommation aveugle. C’est pourquoi c’était important pour moi de passer à l’acte, et de miser sur le commerce local et le recyclage représente une solution à tous ces enjeux.

 

4) À quoi ressemble ta journée-type à ContraBanda, quelles sont tes principales activités quotidiennes ?

En dehors de la réception des dons et de la gestion stock de vêtements (femmes, hommes, enfants, accessoires), de l’étiquetage, de la gestion des réseaux sociaux, je m’occupe aussi d’organiser des ‘’swap’’ et des ateliers de customisation textile tous les mois. J’accueille aussi des œuvres d’artistes locaux que j’expose en boutique.

Je trouve presque tous les jours des fringues abandonnées dans la rue, je reçois des donations et fais du troc avec les client(e)s. C’est la preuve qu’il n’y a pas besoin de se fournir ailleurs, car le stock est amplement suffisant pour faire tourner le magasin. En effet, il faut savoir que beaucoup de magasins ‘’vintage’’ et de seconde main se fournissent à l’étranger (par bateau, en tonnes de vêtements) pour obtenir des pièces plus demandées, alors qu’en fait il n’y en aurait pas besoin ! On pourrait tous fonctionner avec une approche beaucoup plus locale et circulaire. C’est ça que je leur reproche.

 

5) Quelles valeurs véhicule ContraBanda et en quoi est-ce important pour toi de les transmettre ?

Outre celles du respect de la planète et des humains, je prône beaucoup l’inclusivité à différents niveaux. Toutes les tailles et styles sont représentés, et j’essaye de faire en sorte que les gens puissent au maximum voyager entre les zones du magasin, quel que soit leur genre. La zone pour enfants est unisexe. L’inclusivité socio-économique me tient encore plus à cœur. Les vêtements d’enfants sont à 1€/pièce et je met aussi un point d’honneur à avoir des prix justes et aider les gens qui en ont besoin. Ils me connaissent et savent que je peux les dépanner. Mon credo, c’est vraiment créer du lien social et un lieu sécurisant pour toutes et tous.

J’essaye aussi de collaborer au maximum avec les différentes alternatives qui existent à Grenade, que ce soit des associations, collectifs, magasins, ou encore des lieux culturels. Ensemble, on est plus fort(e)s !

 

6) Comment vois-tu le futur de ContraBanda ?

Prometteur. Le ‘’seconde main’’ a de plus en plus de succès. Les grandes enseignes l’ont d’ailleurs bien compris et essayent de se l’approprier. Il faut être très attentif/ves aux pratiques de greenwashing. On espère que les gros poissons ne mangeront pas les petits.

Le combat est encore difficile ici car les locaux ont plus de mal à y adhérer. Les andalous sont encore très influencés par l’Église Catholique, donc le ‘’seconde main’’ est encore beaucoup associé au don, à la charité. L’Espagne est passée par de tels moment de pauvreté, comme un trauma sociétal, que cela rassure les gens de pouvoir s’acheter des vêtements neufs et de pouvoir en changer souvent; cette mentalité est encore très ancrée. Les internationaux sont donc ceux qui visitent le plus ma boutique pour l’instant. Mais cela évolue tous les jours et je m’en réjouis.

J’espère que ces barrières et préjugés vont tomber dans le futur et j’essaye d’y contribuer avec ContraBanda. De plus, j’essaye de sensibiliser les gens quant à savoir distinguer les propositions honnêtes et cohérentes écologiquement de celles, malhonnêtes et basées sur le profit pur, des gros groupes.

Je compte donner davantage de visibilité à la boutique, et du même coup continuer à véhiculer mes idées et l’importance du combat qui est en place, mais également inspirer d’autres gens à mener des initiatives similaires en leur partageant mon expérience. C’est un travail vraiment gratifiant et satisfaisant. J’espère que quelques bébés-ContraBanda naîtront de ces rencontres !

 

Et si un jour je manque de vêtements (ce qui n’est pas le cas pour l’instant), j’adorerais faire un tour des brocantes d’Europe pour ramener des fringues et rencontrer des gens, juste pour le plaisir !

 

 

Site de la boutique : www.contrabandashop.es

Facebook : ContraBanda Granada

Instagram : @contrabandagranada

 

Crédits photos : Secondfashionweek & S. Nacchia